Dans une précédente news, on a approfondi les problématiques présentées par la qualification juridique des dépenses de travaux déductibles en matière de revenus fonciers. Il est clair à cet égard que certaines dépenses de cette nature peuvent générer l’apparition d’un déficit. Et à cet égard, un arrêt du Conseil d’Etat du 14 octobre 2022 (req. n°444458) nous invite à se pencher sérieusement sur le sort fiscal des déficits fonciers particulièrement dans le cadre d’un contrôle fiscal.
Le principe posé par l’article 156-I-3° du CGI est à cet égard bien connu : le déficit foncier est reportable sur les autres revenus du propriétaire dans la limite de 10 700 € par an, à l’exclusion de la part de celui-ci provenant des intérêts d’emprunt. Le surplus reste ensuite reportable sur les revenus fonciers des dix années suivantes. La décision du Conseil d’Etat 14 octobre 2022 précitée offre l’opportunité de rappeler un certain nombre de principes.
Pour l’application de cette règle, on rappelle d’abord que le propriétaire ne peut, par exemple, se constituer, somme toute, une réserve de déficits qu’il imputerait sur les revenus fonciers des années suivantes comme bon lui semble. Le déficit constaté au cours d’une année d’imposition doit obligatoirement être imputé sur le plus proche revenu bénéficiaire de même nature. Le propriétaire bailleur ne peut ainsi ″sauter″ une année pensant qu’une imputation au cours d’une année ultérieure lui serait plus favorable.
En vérité, la mise en œuvre de ces dispositions peut présenter des difficultés encore plus conséquentes et les faits de l’espèce jugée par le Conseil d’Etat en fournit un très bon exemple. En l’occurrence, en 2015, l’administration mettait en œuvre un contrôle sur pièces des revenus fonciers déclarés pour l’année 2013. La déclaration déposée faisait apparaître un déficit de 203 875 €. Le propriétaire prétendait à l’imputation de dépenses d’entretien et de réparation trouvant leur origine dans les années 2010 et 2012. L’administration refusa leur imputation sur les revenus de l’année 2013, ces revenus restantnéanmoins déficitaires. Pour le propriétaire, les dépenses payées en 2011 et 2012 restaient reportables sur les revenus de l’année 2013. L’administration ne rejeta pas totalement cette revendication, en admettant le report des dépenses payées en 2012. Le déficit de l’année 2013 fut par conséquent augmenté d’autant. Là s’arrêta cependant sa mansuétude. Elle exclut en effet toute prise en compte des dépenses de travauxacquittées en 2011, alors que théoriquement elles demeuraient reportables sur les revenus fonciers des dix années suivantes
Alors pourquoi ce rejet ?
Dans le principe l’administration est parfaitement dans son droit d’examiner la nature d’un déficit subi au cours d’années antérieures dans la mesure où il conserve une influence sur l’imposition soumise au contrôle. Cependant, il importe de concilier ce ″droit″ à correction avec l’intangibilité de l’imposition d’une année d’imposition prescrite. Or, précisément, faute d’avoir correctement examiné la déductibilité des dépenses de travaux exposées en 2011, le propriétaire n’avait pas déclaré de déficit en 2011, mais un bénéfice. Du même coup, en 2015, l’année 2011 était, elle prescrite et l’imposition devenue définitive. Le montant des charges payées en 2011 et effectivement déduit des loyers de cette même année devenait intangible tant pour l’administration que pour le propriétaire.
Dans ces conditions, même si un déficit pouvait ressortir a posteriori compte tenu de toutes les dépenses payées en 2011, le Conseil d’Etat considéra qu’aucune des dépenses nées en 2011 autres que celles effectivement imputées sur la déclaration de revenus fonciers de cette même année ne pouvait venir influencer les revenus des années non prescrites, ici 2012 et 2013. La déclaration à tort d’un bénéfice pour 2011 rendait cette démarche impossible au regard des règles gouvernant la prescription fiscale.
L’intérêt de cette décision : le conseiller doit absolument veiller à la justesse des éléments déclarés au titre des revenus fonciers. Et s’il advient que le propriétaire s’aperçoive d’une erreur commise au cours d’une année antérieure, il doit réagir immédiatement pour vérifier :
– la nature des dépenses dont le propriétaire entend revendiquer la déduction pour déterminer s’il ne commet une erreur de qualification juridique des dépenses en cause. En un mot s’agit-il véritablement de dépenses d’entretien, de réparation ou d’amélioration déductibles au sens des dispositions de l’article 31-I-b du CGI ? ;
– si l’année d’origine des dépenses n’est pas prescrite au jour de la découverte de l’erreur. Si elle l’est, l’imposition de ladite année est réputée définitive ce qui interdit toute prise en compte de dépenses non mentionnées sur la déclaration d’origine déposée auprès sur service des impôts.
Si ce double contrôle s’avère positif, le mieux est encore de déposer une déclaration de revenus fonciers rectificative pour l’année antérieure faisant apparaitre un déficit ou de nature à accroître le déficit déjà déclaré initialement. Si ce n’est pas fait, l’année d’origine des dépenses n’étant pas encore prescrite, il suffira, en cas de contrôle, que ce déficit potentiel puisse être effectivement justifié par la production des pièces de dépenses correspondantes comme a pu le juger le Conseil d’Etat (CE 24 octobre 1980 no 15568). Le texte de l’article 156-3° du CGI ne subordonne en effet pas l’imputation du déficit à sa déclaration effective, tant que l’année d’origine de celui-ci n’est pas prescrite
Un conseil : en matière de revenus fonciers, la plus grande vigilance s’impose. C’est en effet la catégorie qui se prête le plus aisément au contrôle sur pièces de l’agent local des finances publiques. Et des dépenses d’un montant important ne peuvent que conduire à l’inscription du dossier dans un programme de contrôle fiscal. Pour l’agent, c’est alors le plus simple des contrôles. Il lui suffit de solliciter les factures de travaux pour éventuellement proposer au propriétaire une rectification de la déclaration déposée auprès du service lorsque les dépenses n’apparaissent pas juridiquement correctement qualifiées.