Dans de précédentes newsletters consacrées à l’imposition des plus-values immobilières, on illustrait ce qui reste le principe fondamental : le civil tient le fiscal en l’état. La règle civile s’impose au juge fiscal. Ainsi, par exemple, le prix d’acquisition d’un bien doit-il être apprécié au regard du principe posé par l’article 1583 du Code civil, lorsqu’il y a accord sur la chose et sur le prix.
Maintenant, un arrêt du Conseil d’Etat du 29 décembre 2021 (n° 438856), montre que le juge peut quelquefois s’écarter du principe pour faire prévaloir le droit fiscal. Cependant, seule une atteinte aux principes fondamentaux incontournables comme les principes d’égalité devant l’impôt ou d’égalité devant les charges publiques est susceptible de le justifier. Et à cet égard, le bail à construction illustre parfaitement cette approche.
On sait que, fiscalement, le retour des constructions entre les mains du bailleur peut générer une imposition au titre des revenus fonciers sur le fondement des article 33 et 33 ter du CGI. Néanmoins, l’article 33 ter-II institue un abattement proportionnel à la durée du bail conduisant à une exonération au-delà de 30 ans.
Pourtant le principe de droit civil posé en cette matière par les dispositions des articles 1234 et 1300 est clair : la confusion en la même personne des qualités de bailleur et de preneur entraîne l’extinction du bail sans retour des constructions entre les mains du bailleur. Mais il en va différemment au plan fiscal. Ainsi, la résiliation du même bail tombe sous le coup des dispositions des articles 33 et suivants du CGI précités. Et celles-ci qualifient de revenus fonciers les loyers et prestations de toute nature qui constituent le prix d’un bail à construction, y compris donc la remise de constructions entre les mains du bailleur.
Cette problématique a déjà été soumise au Conseil d’Etat par le passé, lorsque le propriétaire du terrain faisait apport de celui-ci à la société preneuse du bail. Se détachant du droit civil, le Conseil d’Etat assimila alors cette opération à une résiliation anticipée du bail. Plus précisément, on était en présence, pour lui, d’une « résiliation amiable du bail ». Tirant alors les conclusions fiscales logiques de cette analyse, il a considéré qu’un instant de raison, les constructions faisaient retour entre les mains du bailleur justifiant alors son imposition sur le fondement de l’article 33 du CGI précité (CE, 5 déc. 2005, n° 256916, Fourcade : Droit fiscal 2006, n° 23, comm. 423).
C’est ici la place du réalisme fiscal comme l’explique fort bien Olivier Fouquet dans un commentaire sous cet arrêt de 2005 (Le réalisme du droit fiscal appliqué au bail à construction, Revue administrative, n° 357, 2007, p. 266). Fondamentalement, en s’écartant de l’analyse civile, le Conseil d’Etat a fait prévaloir, sur toute autre considération, un principe supérieur d’ordre constitutionnel, ici le principe d’égalité devant l’impôt. Cette solution permet en effet d’éviter une différence de traitement injustifiée entre le bailleur ayant attendu le terme du bail avant d’apporter le terrain et les constructions au preneur et celui qui procéderait à une opération ayant les mêmes effets quelques jours avant la fin du contrat.
L’affaire rebondit aujourd’hui et donne lieu à un arrêt du même Conseil d’Etat du 29 décembre 2021 (n° 438856). Les faits à juger présentaient cependant la particularité suivante. En l’espèce, en 1989, Mme L… avait consenti à la SAS Ateliers Mécaniques de la Madeleine (AMM), dont son époux était alors le président directeur général, trois baux à construction sur des parcelles de terrains dont elle était propriétaire. En 2011, elle procédait à la cession des terrains objet du bail et supportant les constructions édifiées par la société de son époux.
Mme L et son époux faisaient valoir pour autant que les cessions du terrain et du droit au bail avaient été réalisées au profit d’un tiers au contrat initial. Pour eux, le bailleur cédant ne pouvait dans ces conditions être regardé comme ayant appréhendé les constructions édifiées par le preneur, lesquelles étaient, selon eux, directement transmises au tiers acquéreur.
Cette argumentation n’eut pas l’effet escompté devant le Conseil d’Etat. Reprenant sa jurisprudence antérieure de 2005, le juge énonce que :
« En présence de plusieurs actes concomitants cédant au même acquéreur, avant le terme du bail, les biens et droits respectifs du bailleur et du preneur, la réunion des qualités de bailleur et de preneur en la même personne, alors même qu’elle constitue une cause d’extinction des obligations issues du bail par confusion des qualités de créancier et de débiteur en application des règles du droit civil, a les mêmes effets au regard de la loi fiscale que la résiliation anticipée du bail impliquant la remise des constructions au bailleur et par suite l’application à son égard des dispositions des articles 33 bis et 33 ter du code général des impôts ».
La conclusion est simple, quel que soit le mode de réunion des qualités de preneur et de bailleur, le droit fiscal fait preuve de réalisme pour ignorer finalement le texte civil. Cependant, que l’on ne s’y méprenne pas, c’est de nouveau l’atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques qui conduit le juge à cette solution.
Dans toute autre hypothèse, le civil tient le fiscal en l’état. Dans le cas contraire, l’erreur serait de croire qu’il s’agit là de la manifestation de la fameuse tarte à la crème dénoncée en son temps par le professeur Maurice Cozian : l’autonomie du droit fiscal. L’autonomie du droit fiscal supposerait en effet que le texte fiscal donne une définition d’une opération différente de celle proposée par les autres branches du droit.
Et ce n’est jamais le cas. Voici un exemple touchant à la gestion de patrimoine. La location meublée est une location civile. Pourtant, les résultats de cette location relèvent des bénéfices industriels et commerciaux sur le fondement de l’article 35-I-1 bis du CGI. Pour autant, le texte fiscal ne requalifie pas cette opération civile par nature en opération commerciale. L’article précité dit simplement ceci : « relèvent des bénéfices industriels et commerciaux les bénéfices réalisés par les personnes sont visées par ce texte ». La location n’est pas commerciale, mais les bénéfices relèvent de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.
Encore une manifestation du réalisme fiscal. Sur le fondement du principe d’égalité devant l’impôt le législateur n’a pas voulu établir de distinction entre un hôtelier et un loueur en meublé. Il eut été en effet choquant que le second soit traité fiscalement différemment du premier. A activité similaire, traitement fiscal similaire. Et dans le bail à construction, le Conseil d’Etat ne requalifie pas le bail à construction, il entend simplement faire respecter un principe supérieur au plan de l’imposition du bailleur indépendamment du mode de résiliation de ce type de bail.
Retenez bien cet exemple, il est rarissime.